Ifremer, le bar (Dicentrarchus labrax)
Publication de février 2011
Voici une publication toute récente de l’IFREMER sur l’état et la gestion des stocks de bars ainsi que les méthodes de pêche. Il concerne la pêche du bar dans sa globalité, qu’il s’agisse des méthodes professionnelles ou de la pêche de loisir par les plaisanciers.
A lire attentivement, c’est certainement un texte d’influence pour la suite…
Le bar, une espèce convoitée
Sur la façade Manche Atlantique et en mer du Nord, le bar est principalement exploité par la France (environ les deux tiers des débarquements internationaux), le Royaume-Uni, et dans une moindre mesure par la Belgique, l’Espagne et le Portugal (Figure 1). La moitié des débarquements français (Figure 2) provient du golfe de Gascogne (Zone VIIIa,b sur la figure 4). Ces chiffres ne concernent que les pêcheries commerciales ; en 2008, une étude nationale a montré que, en France, les captures de la pêche récréative étaient du même ordre de grandeur que celles de la pêche professionnelle. Ces estimations seront prochainement affinées à partir des résultats d’une enquête BVA-Ifremer en cours. À noter que certains pays, comme l’Irlande, ont fait le choix de réserver cette ressource à la pêche plaisancière.

Fig.1 : Répartition européenne des captures de bar Manche Atlantique / pêche professionnelle. Fig.2 : Distribution géographique des captures de bar / pêche prof. française. Total débarquements = 5400 tonnes
Des méthodes de capture et des acteurs variés
Le bar est un poisson côtier recherché à la fois par des pêcheurs professionnels et plaisanciers. La pêche professionnelle regroupe des activités très diverses (Figure 3) : elle est pratiquée à l’année par de petites embarcations, qui utilisent la palangre, la ligne de traîne ou les filets. Des pêches saisonnières ont lieu, en hiver, avec des unités plus importantes, qui pratiquent le chalutage pélagique « en bœuf » (à deux navires), le chalutage de fond et plus rarement la bolinche. La pêche à la seine danoise, également saisonnière, se développe en France depuis 2009. Le chalutage contribue à près des deux tiers des débarquements de la pêche professionnelle française.

Figure 3 : Répartition par engin des captures de bar pour la pêche pro. française (chalut fond, chalut pélagique, ligne, palangre, filet, bolinche, senne danoise)
La pêche plaisancière se pratique de nombreuses manières : lignes traînantes, palangres ou filets à partir d’embarcations de plaisance, cannes à pêche depuis le rivage, en plongée au fusil sous-marin.
Cette diversité des méthodes de pêche peut entraîner des conflits d’usages entre les différentes flottilles professionnelles d’une part, et entre les professionnels et la pêche récréative d’autre part.
La période de frai, ou « quand le bar devient accessible aux chaluts pélagiques »
Les chalutiers pélagiques, les bolincheurs, certains chalutiers de fond et récemment la senne danoise ne pêchent le bar, de manière ciblée, qu’en période de frai. La concentration des bars à cette période les rend en effet facilement accessibles par ces techniques de pêche et les rendements sont très élevés. En dehors de cette période, lorsque le bar retrouve un comportement moins grégaire, ces navires ne les capturent que de manière accidentelle. Le bar est alors ciblé par les métiers de l’hameçon, les fileyeurs et les pêcheurs récréatifs.
La période estivale, ou « quand le bar est présent en zone côtière et donc plus accessible aux ligneurs et aux plaisanciers »
Comme pour tout poisson prédateur, la quête de nourriture conditionne le comportement du bar, ses mouvements et migrations. C’est une espèce opportuniste. Son régime alimentaire, très varié, (crustacés, céphalopodes, petits pélagiques ou juvéniles de diverses espèces), le mène dans toutes les zones côtières, y compris à de faibles profondeurs (< à un mètre), comme c’est le cas en été. Le bar est alors dispersé, excepté dans des zones particulières (par exemple celles de forts courants) où il peut former des bancs. De façon générale, des fluctuations locales d’abondances de certaines proies (petits pélagiques comme le lançon), liées, notamment, à des variations des conditions hydrologiques, peuvent générer localement des variations de capturabilité des poissons ou de leurs abondances qui ne reflètent pas nécessairement l’abondance globale des stocks.
Une ressource constituée de plusieurs sous-populations
L’aire de répartition du bar s’étend, dans l’Atlantique nord-est, des côtes du Maroc au sud de la Norvège (30° à 60° Nord) incluant la mer d’Irlande, la mer du Nord, la mer Baltique, ainsi que la mer Méditerranée et la mer Noire. On le trouve jusqu’à des profondeurs d’une centaine de mètres, et jusqu’à environ 80 km des côtes.
Sur la façade Atlantique, le Conseil international pour l’exploration de la mer (CIEM) considère, actuellement, 6 stocks (un stock est constitué par la fraction exploitable d’une population de poissons) : le stock de mer du Nord, dont le lien avec la population de la Manche serait faible ; le stock de Manche-est ; le stock du sud et du sud-ouest des côtes anglaises ; le stock des côtes irlandaises ; le stock de la pointe bretonne (sud de la Manche-ouest et de l’ouest-Bretagne) et le stock du golfe de Gascogne (du sud-Bretagne à l’Espagne). Néanmoins, l’hypothèse que ces stocks correspondent effectivement à des entités biologiques reste à confirmer. En effet de récents travaux s’appuyant sur des expériences de marquage et des analyses génétiques suggèrent que si la mer du Nord et le golfe de Gascogne constituent des unités séparées, la Manche et le sud Irlande pourraient être traités comme une seule entité. Ces travaux indiquent également que le réchauffement climatique pourrait modifier les limites biogéographiques de l’espèce, une extension plus septentrionale de sa distribution étant d’ores et déjà observée. En conséquence, le CIEM recommande la poursuite d’études visant à mieux définir les stocks et leurs limites géographiques.
Des stocks dont l’évaluation doit encore être améliorée
Compte tenu des incertitudes sur la délimitation précise des stocks et des données disponibles, les évaluations sont effectuées à l’échelle des zones géographiques suivantes (Figure 4) : IVbc (mer du Nord), VIId (Manche est), VIIeh (Manche ouest), VIIafg (mer Celtique), VIIIab (golfe de Gascogne).

Figure 4 : cartographie des zones CIEM
En 2010, les conclusions du groupe d’experts du CIEM(1) indiquent que :
- pour le stock de Manche Ouest (Zone VIIe,h) la biomasse des reproducteurs a augmenté entre 2000 et 2005, et diminue depuis. Par ailleurs, la mortalité par pêche s’est accrue depuis 2000, en relation avec une augmentation de l’effort de pêche liée notamment au développement de la pêcherie pélagique dont les débarquements sont les plus importants pour cette zone. Concernant les recrutements, malgré quelques bonnes années au cours de la dernière décennie, la tendance est à la baisse depuis 2000.
- pour le golfe de Gascogne (zone VIIIab), les résultats d’une évaluation très préliminaire du stock montrent une augmentation de la mortalité par pêche au cours de la dernière décennie. L’évaluation quantitative précise de l’état des stocks de bar reste difficile du fait de l’incertitude des données de capture et en particulier celles concernant la pêche récréative. Des progrès dans l’acquisition de données et de connaissances biologiques de l’espèce sont indispensables pour améliorer l’évaluation des diverses composantes de cette ressource.
(1) http://www.ices.dk/reports/ACOM/2010/WGNEW/WGNEW%202010%20.pdf
Des stocks (de bar) qu’il faut préserver
Aujourd’hui, la réglementation européenne ne limite pas les quantités de prises de bar (pas de TAC ni quotas), mais impose une taille minimale de débarquement, fixée à 36 cm en Atlantique-nord-est. De plus, en France, les apports des chalutiers (pélagiques et de fond) sont limités à 5 tonnes hebdomadaires par navire, mais cette limitation a davantage pour objectif d’éviter l’engorgement des marchés que de gérer la ressource. La pêche à la bolinche est également encadrée aux niveaux individuel et collectif et le plafond total pour la flottille a été établi à 72 tonnes en 2011 (CRPMEM Bretagne, décision du 31 janvier 2011)
En 2004(2), dans son avis pour la gestion, le CIEM recommandait de limiter l’entrée de navires utilisant des chaluts pélagiques dans la pêcherie, et de prendre des mesures pour protéger les juvéniles. Cet avis reste valable aujourd’hui.
En dépit de cet avis, on constate que l’effort de pêche a augmenté ces dernières années pour beaucoup de métiers ciblant plus ou moins le bar, sans qu’il soit aujourd’hui possible de quantifier précisément l’effet de cette augmentation sur l’état des stocks. Cependant, les résultats des dernières évaluations du CIEM (2010) indiquent une probable augmentation de la mortalité par pêche en Manche Ouest et dans le golfe et de Gascogne ainsi qu’une diminution de la biomasse de reproducteurs en Manche Ouest (cette donnée n’étant pas disponible pour le golfe de Gascogne).
Il convient donc de rester particulièrement vigilant. L’expérience montre en effet qu’il est préférable de mettre en place des mesures de gestion des stocks visant à en assurer la pérennité avant qu’une dégradation de l’état de ces stocks n’aboutisse à une situation difficile à maîtriser. Il importe donc d’anticiper une telle situation en intensifiant le suivi des activités et des prélèvements de l’ensemble des acteurs (pêche professionnelle et pêche récréative), en améliorant les connaissances sur la biologie de l’espèce et en organisant un partage de l’accès à la ressource qui permette d’en assurer l’exploitation durable.
Du bon usage du repos biologique appliqué au bar
Les arrêts temporaires de la pêche (dont les repos biologiques font partie) sont l’un des moyens de limitation de l’effort de pêche qui figurent dans la panoplie des outils de gestion de la Politique Commune de la Pêche (PCP). Selon les objectifs de gestion, la période de fermeture peut viser à réduire la mortalité par pêche des juvéniles ou des adultes reproducteurs, à organiser le partage de la ressource entre les usagers, ou encore à intégrer des critères de commercialisation du produit. L’effet d’un repos biologique dépend à la fois de la vulnérabilité de l’espèce pendant la période de fermeture (notamment si le poisson se concentre en bancs), et de la réduction effective de l’effort de pêche global qu’engendre l’application de la mesure.
(2) 2004 est la seule année où, à l’issue de l’évaluation, le CIEM a fourni un avis pour la gestion, à la demande de la Commission européenne
Dans l’état actuel des connaissances, il semble que l’exploitation d’un stock de poisson au moment du frai n’ait pas beaucoup plus de conséquences sur le renouvellement de ce stock que si les poissons étaient pêchés à une autre période, sous réserve que l’extraction par la pêche totale demeure compatible avec le maintien d’une quantité de reproducteurs suffisante(3) et que le comportement reproducteur des poissons ne soit pas perturbé par les opérations de pêche. Dans le cas d’un stock qui serait composé de sous-unités ayant une dynamique propre (comme c’est le cas pour le bar), le concept de « quantité suffisante de reproducteurs » vaut pour chacune de ces sous-unités. Ne pas en tenir compte pourrait avoir des conséquences graves sur la pérennité de ces sous-unités et, à terme, sur l’ensemble du stock. Comme souligné précédemment, les connaissances sur la structuration spatiale de la population de bar en différents stocks doivent être améliorées. Il convient donc de rester prudent sur les niveaux de mortalité par pêche lors du frai pour éviter les risques de surexploitation locale.
En tout état de cause, le repos biologique en saison de reproduction tel que préconisé et appliqué par certains usagers ne peut pas se substituer aux indispensables mesures de gestion permettant de réguler l’accès et la pression de pêche globale.
Vers des mesures de gestion pour une pêche durable ?
Jusque récemment, les difficultés liées à la gestion du bar résidaient davantage dans des problèmes de partage et/ou d’accès à la ressource que dans l’absence d’une réglementation limitant les captures (TAC). Les analyses les plus récentes indiquent une augmentation vraisemblable de la mortalité par pêche ces dernières années et une probable baisse de la biomasse reproductrice dans certaines zones.
Aussi, malgré les incertitudes actuelles sur l’état des stocks de bar, il convient 1) de définir des mesures visant à encadrer la pression de pêche voire à la réduire, et 2) de préciser les conditions d’accès à la ressource au sein de la pêche professionnelle, entre les différents métiers pratiqués, et entre les pêcheurs professionnels et les pêcheurs plaisanciers. Pour établir des mesures de gestion adaptées, et notamment le partage de l’accès à la ressource, il convient de connaître la biologie et l’écologie de l’espèce, sa structuration spatio-temporelle, l’état des stocks, les modalités d’exploitation (tailles des poissons capturés, impact des engins sur l’écosystème) et la part relative des différents métiers (y compris plaisanciers) à la mortalité pêche.
Il est également nécessaire de mesurer les conséquences des stratégies de gestion sur l’écosystème et les impacts socio-économiques (de la qualité du poisson – et donc de son prix – aux considérations en terme d’emplois ou d’attractivité pour le tourisme) qui sont très variables en fonction des flottilles et de la part que représente le bar dans leurs revenus.
En conséquence, l’exploitation durable de cette espèce suppose de véritables choix politiques qui doivent être examinés et partagés par l’ensemble des acteurs lors de la nécessaire mise en place d’un plan de gestion à long terme.
(3) Dans des situations critiques où les quantités de reproducteurs sont très faibles, il y a évidemment intérêt à « protéger » au maximum la reproduction en plus d’une réduction totale de la pression de pêche.
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